Nadine Trintignant crée l’événement « Marquant(d) » du 13.11.2019
L’interview de Nadine Trintignant dans laquelle elle annonce d’emblée être venue soutenir Roman Polanski a été autant inattendue que choquante, voire, pas si surprenante que ça, finalement.
Les féministes ont réussi à empêcher au moins une avant-première du nouveau film de Roman Polanski « J’accuse ». Une nouvelle plainte est venue se rajouter à l’encontre de ce grand metteur en scène : c’est une photographe, ex-mannequin, Valentine Monnier, qui dénonce un viol subi dans le chalet du cinéaste à Gstaad en 1975. Ce fait est totalement réfuté par l’avocat du réalisateur.
Nadine Trintignant crée l’événement « Marquant(d) » du 13.11.2019…
C’est le moins qu’on puisse dire… Elle n’a pas été blessée directement par Roman Polanski, et c’est ce qui la rend libre de pouvoir continuer à admirer la grande valeur de ce cinéaste, point de vue que je partage. Elle est si fière de le connaître, si admirative envers son travail et son parcours que la parole des femmes qui dénoncent le comportement violent dont il aurait été, manifestement, capable, il y a une quarantaine d’années, représente plus à ses yeux une « vraie fiction » qu’une vérité, à part le premier cas, qu’elle définit comme ayant été, certes, grave, mais désormais réglé. C’est un fait.
Roman Polanski n’a tué personne. Toutefois, lorsqu’une femme ou tout être humain reste enfermé dans sa souffrance, parce qu’il/elle ne trouve pas la sortie, ce sont des années de vie sans vie qui s’écoulent. La durée de ce combat peut parfois surprendre.
Si nous retournons à l’envers les propos ou du moins la logique – qui permettent à Nadine Trintignant de soutenir le cinéaste, nous obtenons exactement les propos utilisés pour l’acharnement qui dure, depuis 15 ans, contre Bertrand Cantat, en l’appelant à ne pas poursuivre son métier dans la lumière… en appelant à la CENSURE de son œuvre. Évidemment, Marie Trintignant n’est plus là, en raison d’une dispute violente avec le chanteur qui s’est très mal terminée et cette blessure n’a pas de limite, c’est sûr,
L’intervention de Nadine Trintignant valide à mon sens la théorie que je défends, celle des points de vue qui naissent – comme des enfants – de nos propres expériences, de nos tragédies comme de nos joies. Aucun être humain ne peut déclarer que la valeur d’un autre est définitivement « nulle » pour la vie qui (lui) reste. Cette même valeur – sous un autre regard, lui aussi, légitime – a la capacité d’être belle et utile pour des milliers d’autres personnes, encore. Au nom de quoi ce monde devrait se passer de telles contributions ?
Si on devait poursuivre un même but en tant que citoyens du monde, il devrait s’appeler « rendre cette humanité meilleure ». Et ça passe par encourager le meilleur de chacun. On a beaucoup entendu parler de « décence » et de « repentir » autour du cas Bertrand Cantat, à croire que d’un seul coup, ce monde était peuplé « d’experts en décence » ou « d’experts en marche à suivre du repentir ». Peut-être que si nous avons tous trouvé dans nos tiroirs un « décenceomètre » et une « marche à suivre du repentir », c’est que ces outils, certainement utiles, sont avant tout à utiliser pour soi-même. Francesco de Gregori, un artiste auteur-compositeur italien que j’apprécie, dit dans une de ses chansons : « ognuno è vittima ed assassino » (chacun de nous est une victime et un assassin), extrait d’un superbe texte Vai in Africa, Celestino. J’adhère à cette façon de voir la vie. Les pires souffrances sont celles que nous traversons sur terre et nous en sommes les créateurs, nous les infligeons aux autres, les autres nous les infligent, nous nous les infligeons à nous-mêmes. Soyons honnêtes, soit nous prenons les deux étiquettes, soit nous refusons les deux. Mais laissons la place à l’évolution de l’être humain, il y a toujours un réglage à faire pour agir mieux, en faisant le plus de bien et le moins de mal possible. La prise de conscience de ce que nous pouvons être, en incluant les extrêmes qui nous définissent, nous rend la liberté et la responsabilité à l’égard de notre propre route et nous donne les moyens de faire face à nos défis. Ce n’est pas le rôle d’un être humain de retirer ces moyens-là à un autre. Cette prise de conscience doit rester un accès libre pour tout le monde.
La lutte contre les violences et les abus
C’est un combat dans lequel nous sommes tous impliqués et concernés. Ces déviances se trouvent dans tout ce qu’il y a de plus commun comme environnements : la famille, les relations humaines, le travail, les loisirs etc. Une des choses que nous pouvons faire pour contribuer positivement et durablement à l’éradication des violences et des abus, c’est de mettre en paix notre propre monde intérieur. C’est un accès exclusif qui nous est réservé, personne ne peut le faire à notre place… Le plus, il y a d’êtres humains en paix, le plus le monde est en paix. C’est une équation très simple qui nous donne le ticket pour ce grand voyage autour du monde des sentiments humains. Les artistes nous aident car ils sont des « guides de masse », ils éclairent, ils accompagnent.
Se positionner devant l’entrée d’une salle de spectacle ou d’un cinéma en soulevant des pancartes ne revient pas à lutter contre les violences. Ces personnes qui ont choisi de faire la queue pour aller découvrir une œuvre ou écouter un artiste ont toutes suivi un chemin : leur propre vie. Personne ne peut prétendre que ces gens-là ne se situent pas au bon endroit. C’est une erreur (un auto-goal…) de penser qu’en allant culpabiliser ou tenter de dissuader ces spectateurs nous fasse avancer vers le bon but. Ils se sont situés face à un travail artistique porté par un Homme, un être humain imparfait qui a parfois montré de grandes failles dans le courant de sa vie. Ce paramètre a forcément été pris en compte dans leur choix d’être là.
De mon point de vue, pour lutter réellement, il faut aller rencontrer les raisons, les explications qui poussent à la déviance. En quoi la société y contribue ? Ouvrir un dialogue. Un rapprochement des extrêmes est ce qui permettra de chasser la crainte pour accéder à mieux se comprendre. Il n’y a pas d’avancement sans passer par la case « compréhension », d’abord.
Comme dans un Jeu de l’Oie, nous nous dirigeons tous vers ce bien-être, mais ce sont bel et bien des cases différentes pour chacun de nous qui nous construisent, qui nous font réfléchir, qui nous permettent d’explorer notre monde intérieur afin de devenir, toujours un peu plus, cet être entier et conscient.
Au final, le soutien de Nadine Trintignant à Roman Polanski n’est pas si surprenant ou marquant que ça. L’idée serait de pouvoir étendre cette logique au cas de Bertrand Cantat. Car oui, des milliers de personnes suivent le même raisonnement à l’égard de l’actualité qui l’entoure. Il y a plein de gens qui n’ont pas été blessés directement par cet homme et se disent : « s’il n’était pas une célébrité, on lui ficherait la paix », » il a un immense talent de musicien et on devrait le remercier pour son œuvre »… Une file d’attente est debout, ce sont les personnes venues défendre le droit de Bertrand Cantat à reprendre son travail. C’est tout à fait compréhensible, Madame Trintignant, que vous ne soyez pas dans cette foule et que votre chemin vous guide vers un autre angle de vue. En revanche, ne croyez pas, que vous allez trouver dans le public de Bertrand Cantat, des femmes et des hommes sans coeur ou insensibles au combat pour un monde avec plus de justice et sans violence. Bien au contraire.
Pour conclure, il ne serait certainement pas étonnant du tout que les personnes en train de découvrir, ces jours, le film « J’accuse » soient en partie les personnes prêtes à « racheter ou acheter » un billet pour le spectacle « Paz ».