Au nom de quoi pouvons-nous empêcher un être humain de faire sa part de bien pour ce monde ? Quel être humain sur terre peut dire que la valeur d’un autre ne compte plus ? Certaines peuvent ne plus adhérer à la valeur d’une personne, et je comprends ça. Mais cette même valeur, vue sous un autre angle, continue d’être utile pour le monde.
La face « pire » de Bertrand Cantat est consumée, réalisée, plus rien ne passerait ou ne serait admis. C’est clair. En revanche, il a bel et bien cette face qui sait faire beaucoup de bien à des millions de personnes et ce n’est pas à prouver. C’était déjà là, avant. Il reprend son travail là où il l’a laissé, c’est son droit le plus fondamental. C’est le seul moyen de cultiver, sans limite, l’inverse de ce dérapage dans son cœur, dans sa vie, sachant qu’il ne pourra jamais l’égaler dans les mêmes proportions. Nous sommes d’accord. Mais il peut aller le plus loin possible dans cette direction, pour son bien et celui de son entourage. Seule l’hypocrisie d’une société pourrait barrer cette route. Une société qui prétend œuvrer pour le bien alors qu’elle empêche le meilleur de ses membres et qui nourrit, par la même occasion, « haine, mépris et frustration », les sentiments déclencheurs de déviances.
Laisser Bertrand Cantat poursuivre sa route vers ce qu’il est de mieux lui permet de gérer sa souffrance tout en faisant autant de bien que possible, à partir de « ici et maintenant ». Que demander d’autre à un être humain libre dans cette société ? Quel autre défi lui lancer ? C’est la valeur qu’il peut apporter à ce monde, cette valeur est précieuse. Cette face n’est pas condamnable et ne peut pas être condamnée. Au nom de quoi pouvons-nous empêcher un citoyen de faire sa part de bien pour ce monde ? Son métier d’artiste le met en lumière, certes, et je peux bien concevoir que cela crée un certain malaise. Libre à chacun de participer ou pas à son succès. Cette lumière est la réponse à son immense talent. Cette lumière, il la partage avec un public présent, heureux qui pourrait difficilement s’attendre à recevoir plus de la part de l’artiste qu’il aime. Au même temps, cette lumière agit un peu comme une « caméra de surveillance ». Tout le monde sait qui est Bertrand Cantat, tout le monde est au courant de sa « terrible et irréparable erreur ». Ceci rend définitivement chacun de nous libre et responsable de se situer face à son travail d’artiste. Chaque point de vue est légitime, et c’est juste ainsi. Toutefois, fermer la porte à l’expression de Bertrand Cantat ne va en aucun cas embellir ou donner meilleure allure à ce monde. Le grand danger, pour la société et les futures générations, c’est de faire croire qu’en agissant ainsi nous luttons réellement contre les violences et les abus en général. Sommes-nous sur cette voie ? J’en doute. La société devrait se poser des questions plus courageuses et honnêtes pour comprendre en quoi elle contribue à son propre dysfonctionnement – de façon volontaire ou involontaire – et idéalement, retirer sa contribution… Tant que cette prise de conscience n’a pas lieu complètement, nous continuons « d’applaudir » les parties prenantes qui rendent possible ce dysfonctionnement.
Tout autre citoyen qui aurait commis le même dérapage que Bertrand Cantat passerait de façon incognito dans la société. Nous pourrions également aimer, encourager, une de ces personnes, un jour ou l’autre, sans, par contre, tout connaître de sa vie. Bertrand Cantat n’est pas un fugitif et n’a jamais contesté ce qui lui a été demandé de payer. Sa vie est exposée. Qui peut à partir de là imposer une toute autre loi ou une extension de loi qui le condamnerait à rester dans un coin ? Son cas a été géré par la justice, contrairement à d’autres qui ne le seront jamais, il est libre de se reconstruire, de repartir dans sa vie, avec uniquement de bonnes intentions. S’il y a au sein de certains mouvements populaires la volonté sincère de rendre ce monde plus juste et plus équitable, en défendant de bonnes causes, alors « go » pour cette mission. S’acharner sur une seule personne – qui a purgé sa peine et qui ne plus faire de faux pas – c’est un luxe qu’on ne peut en réalité pas s’offrir. Le temps presse. Il y a un choix à faire.
Ne pas retirer les moyens à une personne afin que celle-ci puisse gérer sa souffrance et accorder une place à tout le bien qu’elle peut apporter est de toute évidence le seul chemin qui puisse rendre meilleure cette humanité. Une société qui ne parvient pas à trouver en elle cette dimension lui permettant de faire valoir ces qualités humaines est une société qui tue…lentement mais sûrement.
Documentaire
Pétition